Nous arrêterons de faire le marché bio des Batignolles à la fin de l’année.
Nous commençons à le chuchoter auprès de nos clients, en nous excusant un peu, parce qu’il y a plein de belles rencontres sur ce marché. Parce qu’il m’a vu un peu grandir, enfin devenir adulte. Il a été une prise d’autonomie, une échappatoire anonyme à ma mère lors de sa maladie (et peut-être est-ce parce qu’elle aurait eu 60 ans aujourd’hui que j’en parle justement maintenant) et l’ancrage dans mon métier d’agricultrice.
Ce marché, nous l’avons commencé le 4 janvier 2003 avec nos dernières aubergines de la saison. Le ciel a déversé de beaux flocons blancs toute la matinée. Notre première commençait sur des chapeaux de roues, il nous a fallu 7h pour regagner nos pénates avec quelques fous rires et des envies de faire pipi, bloquées sur la A13 avec ma tante…
J’y ai rencontré mon mari. Il y a eu celles que nous appelions les Espagnoles. Nous avons continué les fleurs là-bas alors que mon frère n’en voulait plus sur Maisons-Laffitte. Les filles régnaient sur le stand, parce que nous ne voulions pas de mec. Le hayon s’est effondré, heureusement à vide, une roue a crevé durant le trajet, la boîte de vitesse nous a lâché au retour. Il y a une Roumaine qui fait la manche depuis 15 ans. Les gens à qui nous osons demander leur métier. Nos chouchous, tellement gentils. Nos kikis, tellement horribles. Les fous rires. Les matins où le vendeur nous plante (parce qu’il est soit disant malade… mais à 4h, je crois que ce n’est pas la bonne maladie !). le samedi de pluie, un jour noir où tout reste gris et l’eau qui s’infiltre en délayant notre bonne humeur. Le moment où le client nous demande ce qui ne va pas parce qu’on est plus renfermés que d’habitude. Le lever du soleil sur le Sacré Cœur. La brume sur le terrain d’aviation à St Cyr. Paris qui se déshabille et qui change de costume. Ceux qui boiront notre sang, disent-ils au petit matin. L’odeur des pains au chocolat. Pousser les voitures avec le camion. Trouver les noctambules désappointés parce que la fourrière est passée avant eux. Les premiers clients de l’aube. Ceux qui nous arrachent un sourire. Les VIP de Chantal qui a maintenant 83 ans. Les jolies filles qui attirent le regard de Sami et le perdent…
Mais voilà, quand nous avons commencé Batignolles, nous étions mes grands-parents, mes parents, ma tante, mon frère, Vitor (importé du Portugal en 1997 par une ami d’enfance folle de lui), Carlos (le frère de Vitor) et moi, avec pour saisonnier Albert, le père de notre Super Carlos actuel. Maintenant, il y a mon père, Laure qui est arrivée en 2005, Carlos (arrivé en 2008) et moi avec 3 saisonniers cette année, soit moitié moins.
Nous avons tous grandi, et la vie nous a apporté de jolis présents. Nous avons fait beaucoup d’erreurs et en ferons encore, mais nous avons trouvé une belle harmonie où le travail ne prend plus toute la place.
Alors certaines choses doivent suivre le courant de l’eau pour garder le plaisir…
Merveilleuse semaine !